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Travaux en cours, risques de chutes
18 septembre 2013

l'Empire du Cil

Salvador_Dali_full

« Je suis extensionniste »

Moi pétrifiée, les yeux écarquillés. Extension du domaine de la solitude, expansion des cils jusqu’au vertige,  des tensions dans le visage : agité de spasmes. Des araignées dans le ventre exfolient l’écorce de l’oesophage, j’ai mal, je veux vomir je veux m’expurger de tous ces sifflements dans la croûte des côtes ; rien ne vient. L’angoisse fait tourner les pages, regarder l’heure, fumer une cigarette, regarder l’heure, l’heure qui tourne, la buée sur la vitre, l’heure qui vient, l’heure de la fin. L’angoisse me gratte jusqu’à l’os. Le temps ne s’étendra pas plus loin que la pointe des cils.

Les cils battent plus vite sous les paupières rougies. Plus longs plus beaux plus glamour. « C’est l’essence même de la féminité ». La fumée des cigarettes se mêle à leur courbure. Les yeux secs j’ai la tête qui tourne et le sourcil noir, je n’étends pas mon pouvoir de séduction de ses tentacules tentantes sur les hommes, les cils courts le souffle court je ne suis qu’une ombre de femme. Et s’il n’en voulait plus ?

Le téléphone ne sonne pas et je le surveille comme un animal venimeux qui risquerait de me piquer à tout moment. Car même si je ne réponds pas, il faudra rappeler, décider quelque chose. Une femme active, qui décide. « J’ai rencontré comme ça des femmes qui travaillaient, très haut dans la société, c’est incroyable », des pas comme moi des pas oisives des pas angoissées existentielles. Je bats des cils ; s’il faut partir on va où ? s’il n’y a pas de place pour nous ? les cils ourlés de peur battent tandis que le temps bat son plein, ses vides et l’attente, bat l’attente, bat le temps, le temps bat dans la tempe comme je bats mon tapis, et tout ça se mord la queue les araignées mordillent je tourne comme un ours en cage. Les cils battent le cœur s’emballe. Mal au cœur nausée vertige.

« J’ai connu, à New York City, celle qui avait fondé en Amérique l’Empire du Cil. Une femme extraordinaire, qui avait lancé ça au début des années 2000, pour que les femmes reprennent confiance en elles, se trouvent belles, retrouvent un visage normal. » Des femmes qui avaient failli mourir des femmes sans cheveu et sans cils des femmes le regard tout nu dans le blanc d’une salle d’hôpital.

Extension de l’angoisse jusqu’au fond du ventre jusqu’au bout des ongles. Je ronge je ronge je ronge. Si ça continue de pousser quand on est mort ? et si on meurt ça s’étend encore ou ça s’arrête net ? comme coupé au rasoir. Si ça s’étend ça s’étend  ça pousse ça prend toute la place. Dans le cercueil il paraît que les cils continuent comme les ongles des pieds comme les mains comme les cheveux à pousser pousser pousser et parfois on retrouve les os blancs tout nus pris dans un entrelacs,  des tentacules d’extensions de soi, d’un corps mort comme si les cils les cheveux les ongles s’acharnaient à vivre quand on est mort rongé par le cancer par l’angoisse par  les silences. On n’en finit par de s’étendre, s’étreindre tout seul dans ses bras - et mourir, s’étendre de tous ses longs cils. Je tends la main les doigts tout petits les ongles ras –coupés court- rien ne retient rien ne s’étend au-delà de moi de cette écorce qui me tient petite entre les griffes de la peur : je ne suis que cette  peur que les araignées de grignotent avec leurs dents- elles poussent aussi dans la nuit du cercueil, les dents?

« Je suis un peu psy aussi : deux heures les yeux fermés entre mes mains » dit l’Impératrice du Cil. Mains fermées entre ses yeux à sa merci elle s’infiltre par les cils jusqu’à l’œil glisse une lame et découpe lentement la pupille ou colle un à un les cils avec de petits pinceaux très fins des doigts agiles des doigts experts aux longs ongles vernis de rouge de grenat de vermillon de sang les cils un à un coagulent l’œil à jamais fermé sur le silence de la nuit intérieure tandis que les cils noirs, très longs, tissent sur le visage la grille de sa prison de très longs très fins réseaux incurvés délicatement à la pointe du scalpel du bout des ongles si fins si tranchants les fils des cils se faufilent sur les paupières les joues le nez la bouche la gorge et descendent si fins comme la toile de l’araignée jusqu’au ventre et l’on se retrouve enseveli sous l’extension enchevêtré dans les cils qui n’en finissent pas de s’allonger comme on s’allonge, mort, dans le cercueil, sous les fils tissés finement délicatement par des doigts de fileuses aux ongles vernis de sang du linceul l’extension des cils ferme mes yeux pour toujours, amen.

« Je suis un peu psy » et si elle me touche ?

« Je suis un peu psy » et s’il ne m’appelle pas ?

Et si le téléphone vrombit ? et s’ils me demandent ? et s’il s’en va ? et s’il n’y a personne pour me retenir, je vais où ?

Le silence au bout des questions me prend en tenailles, oui en tenailles dans ses longues pattes griffues, noires et velues.

Si mes cils trop courts pas très fournis rêches sans mascara, sans l’ombre du masque, massacrés par la fatigue le sel des larmes la fumée si mes cils trop courts dis-je ne savaient pas le retenir s’il ne suffisait pas de battre très lentement des yeux pour le décider à me suivre s’il n’y avait rien à attendre ?

les larmes 1936

Les deux images sont empruntées au site: 

http://laperraextremena.blogspot.com/2012/11/le-faux-miroir.html dont j'ai repris deux illustrations, la première de Dali, la seconde de Man Ray, les deux associées au surréalisme dont s'inspire ce petite texte. 

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  • En lisant, en écrivant, en moins bien: ce blog est un journal, qui mêle réflexions personnelles à partir de livres et essais de fiction, mêlant sans prévenir le vrai et le faux, dont j'essaie ici de comprendre comment ils créent de la littérature.
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