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Travaux en cours, risques de chutes
10 juin 2013

Femmes, soyez disponibles!

 

Il y a une vingtaine d’années, les femmes s’épilaient essentiellement l’été, quand elles portaient des jupes. A moins d’être nageuses ou strip-teaseuses, rares étaient celles qui vouaient au poil la guerre sans merci qu’on mène actuellement : l’épilation doit être impeccable, constante –Veet épile les poils même courts- sans trêve ni temps de repousse, et si possible, intégrale. Le marketing s’est inspiré du porno pour reprendre de très vieux thèmes bibliques : l’impureté de la femme, sous couleur d’hygiénisme : le poil, c’est sale. ça garde les mauvaises odeurs de transpiration. D’ailleurs, toute femme qui se respecte porte en permanence dans son sac des lingettes parfumées pour la toilette intime, au risque de chopper une bonne mycose, pour se sentir propre et parfumée en toute circonstance : la chatte, au naturel, pue. Elle est moche, aussi : la chirurgie réparatrice pour refaire des lèvres qu’on juge dissymétriques ou trop épaisses est devenue une autre mode directement inspirée de l’industrie pornographique ; car si on peut comprendre qu’une lèvre un peu pendante et cerclée de poils pubiens passe modérément à la caméra en très gros plan, on a du mal à concevoir comment une femme ordinaire peut développer à cet égard des complexes qui la mettent mal à l’aise dès qu’elle se retrouve jambes écartées devant son mari. Comment a-t-on réussi à complexer les femmes à ce point sur leur corps, alors qu’on se prétend héritiers de la libération sexuelle ? Peut-être parce que cette notion s’est complètement pervertie, que la notion de plaisir est devenue une obligation de performance plutôt qu’un droit à jouir sans entraves, et que la responsabilité en échoit en grande partie aux femmes : il paraît que des lèvres parfaitement épilées sont non seulement plus excitantes, mais suscitent plus de plaisir chez les deux partenaires, il paraît que le désir dans un couple s’entretient par des jeux sexuels variés, par une disponibilité totale de la femme trop souvent absorbée par le quotidien, il paraît que si votre mari vous trompe, c’est que vous n’avez pas su le garder : pas seulement parce que vous êtes devenue chiante et obnubilée par vos enfants, mais parce que vous n’avez pas su entretenir la flamme, exciter le mâle, garder votre sexytude en toutes circonstances. Vous croyez rêver ? Mais non : lisez la presse dite féminine, qui est loin d’être féministe, traînez sur des forums, arrêtez-vous sur les publicités qu’on vous déverse quotidiennement : tout est fait pour rappeler que le corps de la femme doit être toujours sexy et disponible aux appétits du mâle. Sous couvert de libération sexuelle, la femme se trouve aliénée par l’hyper sexualisation de son corps. Ce qui relevait de l’exception, de l’effort ponctuel pour plaire et se plaire, est devenu la norme quotidienne, ou devrait l’être, à en croire ces images qui nous envahissent : ensemble de lingerie toujours coordonné et varié, épilation impeccable, peau de pêche et vulve nickel, fleurant la rose artificielle, pour faire oublier une nature toujours aussi inquiétante : l’image du vagin pourvu de dents qui obsède l’imaginaire masculin depuis des siècles est muselée par cette parfaite maîtrise aseptisée du corps féminin, svelte et doux, qui ne recèle plus aucun danger, aucun trouble douteux, aucune odeur aussi excitante que vénéneuse : le sexe s’est aseptisé, à travers une transformation du corps de la femme par des standards qui ne relèvent que d’un imaginaire masculin et sexiste, et qui a conquis assez de territoire pour aliéner la plupart des hommes et des femmes. En effet, à mesure que les femmes acceptent de se soumettre à ces normes et de les intégrer sous couvert d’esthétique, de bien-être, de domination décomplexée de la nature, les hommes aussi voient leurs fantasmes érotiques se rétrécir comme peau de chagrin, s’uniformiser et perdre leur saveur. Mais quand j’emmène mes enfants à l’école, je n’ai pas nécessairement envie d’être un objet sexuel en puissance, déchaînant la concupiscence des braves pères de famille que je serais susceptible de croiser, et je ne vois pas en vertu de quel principe à la con je ne devrais sortir de chez moi que parfaitement coiffée-maquillée-épilée-munie de sous-vêtements sexys qu’on puisse deviner à travers l’échancrure de mon chemisier. Je me contente d’être propre et décemment vêtue.

Après tout, chacun et chacune font bien ce qu’ils veulent. Ce qui me semble autrement plus inquiétant, c’est que cette hyper-sexualisation du corps féminin s’étend aux fillettes, dès leur plus jeune âge. J’en ai fait l’amère constatation, par exemple, en cherchant désespérément une culotte de bain pour ma fille de deux ans, et en me trouvant comme une poule devant un couteau à ne trouver que de jolis petits maillots deux pièces, taille trois à douze ans, proposant d’adorables petits soutien-gorge destinés à cacher pudiquement des seins inexistants. On leur donne ainsi l’illusion d’avoir un corps de femme, et avec lui la contrainte de la pudeur, qui renvoie à la honte de soi, mais aussi d’une façon plus malsaine à l’idée qu’il faut à la fois suggérer et cacher l’attribut sexuel, fondement même de l’érotisme. Que vient faire un tel érotisme dans un rayon de vêtements pour enfants ? Une petite fille de trois ans, ou même de huit, n’a pas à s’interroger sur sa pudeur, n’a pas à cacher ses seins, comme si tout adulte était un pédophile en puissance, n’a pas à susciter ce regard-là sur son corps, parce que c’est profondément malsain, et aliénant.

veet

Cette publicité pour la cire épilatoire Veet, à travers cette charte graphique très "préado", montre bien que la cible visée par la cire, tout en rose, n'est plus celle des femmes, mais des (très) jeunes filles, marché à part entière.

 

Que des femmes montrent leurs seins peints de slogans pour choquer l’opinion et l’interroger sur le statut du corps de la femme, suscitant des réactions d’opposition violente, c’est une chose ; qu’on puisse s’interroger sur le bien-fondé d’une mesure autorisant les new-yorkaises à se promener torse nu pendant l’été au nom de l’égalité des sexes, là encore, c’en est une autre ; mais pousser subrepticement les fillettes à adopter un vêtement et une idéologie fondée sur la pudeur inhérente au corps féminin, alors même qu’elles ont un corps d’enfant, cela me semble relever de la pédophilie et d’un malaise profond autour de la féminité. De plus en plus tôt, des petites filles s’adaptent à des normes contraignantes, sources de souffrances, et n’ont pas l’âge d’effectuer un choix conscient. Des fillettes de cinq ans refusant de porter une jupe « parce qu’on voit leurs poils », des mamans qui leur mettent des leggings sous la robe pour qu’on ne voit pas leur culotte, des gamines de trois ans arborant maquillage et vernis pour enfant, sac à paillettes coordonnées aux chaussures et talons hauts en taille 28…  Et les parents qui cèdent à ce genre de mode sous prétexte d’éviter les moqueries à l’école sont à mon sens aussi coupables que les marques qui font leur beurre sur les complexes qu’on crée chez les petites filles : ils ne font qu’entretenir ces moqueries en acceptant que leur fille suive les normes qui les justifient, donnant de l’eau au moulin vicieux qui tourne autour de la féminité précoce. Quitte à parler en vieille conne que je suis, je me rappelle une époque pas si lointaine où on pouvait souffrir, certes, des positions de ses parents, surtout en matière de vêtements, mais où ces éventuels regards moqueurs étaient tout de même bien plus tardifs, et obligeaient à plus de caractère et d’inventivité chez l’enfant : paradoxalement, on grandissait en trouvant comment affronter le regard des autres, pas en adoptant systématiquement les codes inventés par la mode. Mais on oublie, à la fois en suivant aveuglément la mode qu’on impose à nos enfants et en adoptant ainsi l’idéologie qu’elle porte, ce qu’est un enfant : cet âge d’avant la puberté est celui où le corps n’est pas sexualisé, où ces préoccupations d’appartenance à un genre sont secondaires, où elles devraient être inexistantes, si l’industrie textile ne faisait pas tout pour faire acheter des vêtements aux parents, où l’enfant, avant d’être garçon comme papa ou fille comme maman, est avant tout un individu en construction. S’identifier à un parent du même sexe est certes une étape importante, je ne suis pas psychologue pour l’expliquer longuement, mais c’est justement, je crois, dans cette période qu’on appelle l’âge oedipien, où l’identification au parent de même sexe se joint à une forme de jalousie et de concurrence pour l’autre parent, que l’éducation vient rappeler sa place à l’enfant, en ne l‘autorisant pas à prendre celle de l’adulte, et en désexualisant ainsi la relation. Je peux me tromper, car ce n’est vraiment pas mon domaine, mais j’ai l’impression que l’excès d’empathie de ces parents qui abondent dans le sens de l’hyper-sexualisation de leur progéniture au nom d’une intégration sociale qu’ils sont bien seuls à foutre en l’air avec de tels principes cache une forme de refus : celui qui consiste à voir dans son enfant un enfant, justement, et non un petit adulte. Et je ne veux pas m’étaler sur les intentions inconscientes de ce genre d’attitudes, mais si certains consommateurs s’indignaient un peu plus souvent de ce qu’on fait acheter aux parents, au lieu de se jeter sur la marchandise, peut-être pourrait-on éviter que des générations entières de petites filles se voient elles-mêmes comme des petites femmes, soumises aux mêmes complexes amplifiés par l’incapacité de s’en défendre, et par la trop grande compassion, franchement douteuse, des parents, avec tout le danger que comporte cette dérive.

Que les femmes, et pire encore, les fillettes, se conçoivent elles-mêmes, au fond, comme des objets sexuels perpétuellement disponibles, toujours séduisantes et prêtes à assouvir un fantasme masculin lui-même largement fantasmé, est plus qu’inquiétant : machines à produire du plaisir, ces femmes qu’on fabrique en série à travers ce discours sur le corps féminin risquent fort, à la longue, au nom de la « féminité » dont on fait tant de bruit, de ne plus se percevoir elles-mêmes comme des individus à part entière, mais de ne se percevoir qu’à travers l’effet qu’elles produisent sur l’autre, puisque la seule obsession ainsi mise en valeur dès le plus jeune âge est celui de l’apparence et de la conformité à des attentes inventées par l’industrie pornographique et ses dérivés : c’est le principe même de l’aliénation. 

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  • En lisant, en écrivant, en moins bien: ce blog est un journal, qui mêle réflexions personnelles à partir de livres et essais de fiction, mêlant sans prévenir le vrai et le faux, dont j'essaie ici de comprendre comment ils créent de la littérature.
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