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Travaux en cours, risques de chutes
28 avril 2013

Féminisme en pays arabe

Amina, les Femens et l'Islam

J’avais exprimé sans retenue mon enthousiasme délirant à la lecture de Superman est arabe de Joumana Haddad en saluant sa liberté de ton et son courage à dénoncer le patriarcat qui règne dans tous les grands monothéismes.

A force de bavarder avec d’autres gens sur la question d’Amina, des Femens brûlant des drapeaux devant la Grande Mosquée pour la soutenir et de la question des particularismes religieux dans la question féminine, j’ai lu d’autres choses. Et même si je reste idéologiquement plus proche de Joumana Haddad, qui se déclare athée et anticléricale, que d’Asma Lamrabet, qui se présente comme musulmane pratiquante, il faut rendre justice à son livre Femmes-Islam-Occident qui donne sur la question des éclaircissements passionnants et permet une remise en cause profonde des prêts-à-penser occidentaux sur la question.

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Elle renvoie dos à dos deux types de pensée : d’une part, la doxa religieuse qui sévit dans les pays musulmans et s’appuie sur une lecture figée et patriarcale des textes religieux, déformés par la tradition et les réappropriations pré-islamiques du texte sacré, qui ont réussi à ôter au message libérateur du prophète à l’égard de tous les croyants, femmes comprises, son universalité pour revenir à des prescriptions tribales qui entérinaient durablement le statut subalterne de la femme dans ces pays. Asma Lamrabet propose donc une lecture beaucoup plus fine et fidèle des textes religieux, Coran et Haddiths, pour montrer qu’il existe des interprétations libératrices pour les femmes au cœur même de l’Islam. D’autre part, elle critique vivement l’impérialisme de la pensée occidentale qui voudrait qu’il n’y ait qu’une seule manière pour les femmes de se libérer de la domination masculine, en adoptant les stratégies occidentales, qui passent essentiellement par le rejet des religions oppressives. Elle dénonce un certain racisme dans les discours féministes quand ils considèrent les femmes musulmanes comme un tout vague et indifférencié, incapables de réclamer l’égalité, aliénées par une religion obscurantiste et réduites à ne pouvoir s’émanciper qu’en reniant leur identité musulmane pour adopter les normes occidentales – à l’image de Joumana Haddad ou d’Amine, sans doute.

L’Islam apparaît relu et revu, ses textes fondateurs contextualisés et explicités, et Asma Lamrabet dégage sa portée universelle  et profondément libératrice, fondée sur une égalité de tous les croyants. Elle s’inscrit à cet égard dans un courant de pensée important dans les pays musulmans, qui consiste à s’opposer aux fondamentalistes par une lecture précise, étymologique, historique, bref critique, des textes sacrés.  Si je compare ce type d’exégèse à celle des premiers Protestants face au dogmatisme de l’Eglise à l’orée des temps modernes, je pècherai sans aucun doute par un comparatisme très occidental, qui consiste à vouloir voir des analogies là où il n’y en a pas, mais pourtant étant issue de cette culture critique, individualiste, qui s’appuie sur une lecture personnelle des textes pour en chercher et en actualiser le sens pour mon époque, je ne peux m’empêcher de la faire. Car ce qu’a apporté à l’Occident cette révolution du rapport à la foi et aux textes qui l’érigent me semble indispensable pour comprendre ce qui se joue dans certains pays musulmans autour d’intellectuels croyants qui refusent de renoncer à leur foi au nom d’un pseudo-universaliste en fait détenu par des intérêts occidentaux parfois douteux, qui se drapent dans des principes universalistes pour critiquer avec une mauvaise foi coupable la seule religion musulmane. (Cela dit, avec les débordements qu’on connaît de la part d’intégristes catholiques en France ces derniers mois, on peut espérer tout de même un peu de justice dans cet anticléricalisme qui jusque là ne portait, curieusement, que sur les Musulmans- et je referme ma parenthèse). Il s’est agi, à partir de 1517, date fondatrice du Protestantisme avec l’affaire des placards de Luther, de remettre en cause l’autorité sous ses formes religieuses, idéologiques et politiques, au profit d’un processus lent d’émancipation de l’individu sur tous les plans qui a mené à la démocratisation d’un grand nombre de pays occidentaux, et à la relative séparation du politique et du religieux. Si la lecture par Asma Lamrabet (mais aussi d’autres féministes musulmanes, comme Zhara Ali) offre des similitudes avec ce courant de pensée occidental de la Renaissance, c’est qu’il est possible de renouveler en profondeur la pensée islamique, de reconnaître sa portée universelle et  porteuse de paix et de justice, et surtout permettre par cette renaissance interne d’échapper au douloureux dilemme de bon nombre d’Arabes enjoints de choisir entre une identité  musulmane, vue de l’intérieur comme de l’extérieur comme réactionnaire et aliénante, générant de fortes inégalités entre hommes et femmes, une soumission aveugle du croyant à son chef religieux et politique, et le mimétisme tout aussi aliénant à l’ordre occidental dont on nie tout autant la diversité et les contradictions pour adopter une posture parfois caricaturale.

A cet égard, il n’est pas tout à fait anodin qu’Asma Lamrabet écrive au Maroc où elle vit : ce pays est traversé par les mêmes contradictions, auxquelles s’ajoute  un clivage sociologique qui ne risque pas d’arranger les problèmes de l’identité marocaine. En effet, aux élites occidentalisées[1], colonisées  et souvent acculturées qui détiennent le pouvoir économique (résurgences du passé colonial et des rapports complexes à la France, contre laquelle on affiche un nationalisme qui peut friser le ridicule, alors qu’on inscrit ses enfants dans des établissements français, qu’on se targue de n’écrire qu’en français et de ne pratiquer l’arabe qu’avec sa femme de ménage ou son chauffeur), s’oppose une large masse populaire, dénuée de tout, qui s’entasse dans des logements insalubres à Casablanca entre les immeubles flambants de luxe du centre-ville, et qui trouve dans les courants fondamentalistes de l’Islam, venus du Moyen-Orient et d’une lecture des textes plus proche de l’esprit tribal pré-islamique que des réels discours du prophète, d’après Asma Lamrabet, la matière d’un repli identitaire et d’un espoir dans une certaine justice sociale par l’instauration d’un Islam politique plus pur et moins corrompu que ne l’est le monde politique actuel, gangrené par l’incompétence et la corruption, les passe-droits et l’injustice la plus cynique. Il est donc urgent de trouver une autre voie, qui permette aux Marocains d’être à la fois musulmans et libres, s’ils désirent inscrire dans leur identité propre leur religion.

De même qu’il devrait être aussi possible de choisir son identité en fonction de ses propres préoccupations, sans devoir à tout prix s’ancrer dans une foi quelconque quand on considère comme inexistante ou secondaire cette donnée. Contrairement à certains passages du livre d’Asma Lamrabet, qui accusent les féministes arabes « passées à l’ouest » d’une certaine aliénation, je trouve indispensable la liberté de se choisir musulmane ou non dans la construction d’une identité féminine, ce en quoi redouble mon admiration à l’égard de Joumana Haddad, peut-être pour des raisons ethnocentriques douteuses, mais surtout parce que je crois essentiel que chacun et chacune puisse choisir en son âme et conscience quel est son rapport propre à la religion dans laquelle il a été élevé, comme il devrait pouvoir lire par lui-même tous les textes sans être écarté de cette démarche d’appropriation par les traditions exégétiques les plus bornées : au Maroc justement, beaucoup de mosquées n’ont pas prévu d’accès pour les femmes, la prière publique étant traditionnellement réservée aux femmes, ce qui me semble profondément injuste et absurde.

En somme, les deux ouvrages se complètent, dans la mesure où ils mettent en lumière différentes voies du féminisme dans les pays arabes, et esquissent le chemin d’une véritable libération non seulement de la femme arabe, mais aussi et surtout de l’individu arabe dans un contexte mondial qui dépend encore très largement de son histoire coloniale, qui n’en finit pas de pourrir les relations entre orient et Occident et de renforcer chez chacun un douloureux sentiment de trahison ou d’aliénation alors même que s’il y a un apport à garder de l’occident, ce devrait être celui d’un message profondément libérateur, similaire en cela à celui de toutes les grandes civilisations de ce monde, si on les examine avec la distance respectueuse et l’intelligence d’une Asma Lamrabet.

8 mai 2013
Je reviens sur cet article car il y a une chose qui m'intrigue dans le positionnement d'Asma Lamrabet. Je n'aurai pas de réponse de sa part, mais peut-être, qui sait, d'un éventuel lecteur. Si j'ai esquissé plus haut une comparaison avec l'émergence du Protestantisme en Occident, à travers la relecture critique des textes religieux, leur appropriation personnelle à la lumière d'une foi personnelle, je n'ai pas abordé la question pourtant essentielle de l'intériorisation de cette foi, non par les oeuvres, mais par l'esprit, à laquelle invite Luther et ses successeurs. "Vous n'aurez pas de signe", et vous n'en porterez pas davantage, dit le réformateur, en substance: contre l'habit qui n'a jamais fait le moine et les démonstrations ostentatoires de la foi, le protestantisme invite à une véritable conversion marquéenon par les gestes ou les habites, mais par la prière et le lien direct à Dieu. Or Asma Lamrabet évoque à plusieurs reprises son port du voile, tout en affirmant que cette foi qu'elle porte est à la fois choix individuel et que le Coran relu de près n'oblige nullement les femmes à se soumettre à cet accoutrement, qui n'a de sens qu'historique (je ne reviens pas en détails sur cette démonstration exégétique des textes et des malentendus autour des termes repris par la tradition la plus patriarcale de l'Islam). Pourquoi alors porter le voile? Je n'ai rien contre (ni pour) le voile, c'est un débat qui à mon sens n'en a guère, dans la mesure où je pense sincèrement que chacun et chacune porte bien ce qui lui plaît, mais cette contradiction me gêne. Je ne l'interprète pas, et si quelqu'un de versé dans la pensée des féministes islamistes passait par là, j'aimerais comprendre le sens de cette posture pour le moins paradoxale.


[1] J’emprunte cette terminologie et cette analyse à celle de Christine Delphy, que j’espère ne pas trahir…

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