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Travaux en cours, risques de chutes
9 avril 2013

Station-service 2 (suite)

«  Salut, Clairette. Tu es bien rentrée ? tu aurais pu m’appeler.

-Oui, je suis désolée. Cette semaine je n’ai fait que courir », mens-je effrontément. Ça va, toi ?

- Moyen. Dis donc, j’ai lu ton blog, là. 

- Ah.

- T’aurais pu m’en parler.

- Je pensais pas que ça t’intéressais plus que ça. Et t’en penses quoi ?

- Oh, c’est bien écrit. Tu as du style…

- … mais pas de cœur ? Tu as lu quoi ?

- J’ai lu ton histoire de station-service, et je ne sais pas quoi te dire. Tu me prends vraiment pour un con, hein ?

- Non, pas pour un con. Pour un homme complexe, à plusieurs épaisseurs, que j’aime et que je critique en même temps.

- Il y a des choses très justes, là-dedans, qui m’ont émues parce que tu parles de ton enfance, de ta belle-mère, de moi, des voyages en voiture… D’ailleurs pourquoi Simone ? C’est ridicule, ce prénom ?

- Non, c’est doux, j’aime bien. Je connaissais une Simone, une amie de Maman, que j’aimais beaucoup et qui lui ressemblait un peu.

- Enfin, justement. Il y a aussi des choses blessantes, des choses malhonnêtes, et j’ai du mal à savoir si c’est du lard ou du cochon. Tu me vois comme un crétin lâche et ridicule, un menteur qui a largué sa femme au pire moment, un vrai connard aux discours creux et je suis déçu que tu ne voies que ça de moi. Si tu avais tant de choses à me reprocher, tu aurais pu le faire en face.

- Mais il n’y a pas que ça ! J’ai forcé certains traits pour faire de ta personne à toi un personnage à moi. Par exemple, tu ne conduis pas particulièrement mal, mais ça allait avec ce côté petit nerveux grande-gueule et en même temps touchant. Sur moi aussi j’ai menti, j’en ai rajouté sur l’ennui et la culpabilité. Enfin, c’est complexe…

- Mais tu ne montres que le pire, pour finalement dire que c’est « touchant » ! Tu salis ce que tu racontes de notre relation, tu fais de moi un pantin grotesque, et après tu surplombes le tout en parlant littérature ! Tu te prends pour qui, pour raconter ce genre de trucs sur la place publique ? tu crois que tu fais ce que tu veux des gens pour faire du style ? Tu imagines le mal que ça peut faire, de se voir décrit comme un abruti qui n’a pas su s’occuper de sa géniale fille, et de savoir que des tas de gens vont lire ça ?

- Des tas de gens, faut pas exagérer, hein. Si j’arrive à être lue par quinze personnes, je touche au sommet de la gloire.

- Mais c’est pas le problème ! tu n’as pas le droit de raconter n’importe quoi sur n’importe qui en racontant que c’est « de la littérature » quand on demande des comptes ! Je me sens humilié, et je trouve que ta réaction est franchement mesquine.

- Comment veux-tu que je fasse, sincèrement ? Quand j’écris des histoires issues de mon imagination délirante, c’est complètement creux. Ça sonne faux, ça ne marche pas, c’est sans substance, il n’y a aucune authenticité. Quand je ne parle que de moi, c’est encore pire, c’est narcissique et nul, et de toute façon je n’ai rien de personnel à raconter sur ma petite vie. Les seules fois où j’ai l’impression d’écrire un texte réussi, c’est quand je parle de choses et de gens que je connais bien, que j’ai l’impression de toucher une certaine vérité. Mais je n’arrive pas à trouver le ton juste pour montrer la beauté, la poésie, enfin tout l’amour que j’ai pour les gens dont je parle.

- Mais elle est où,  la vérité, quand tu te fous de la gueule des gens que tu prétends « aimer » ? C’est égoïste à un point…

- Je ne sais pas comment faire autrement. Je n’ai aucune imagination. Quand j’essaie, ça tourne à la farce grossière.

- Et explique-moi pourquoi tu mets en ligne ce genre de textes ? si c’est pour t’exercer, ce que je peux comprendre, pourquoi tu fais en sorte que les gens concernés te lisent ? C’est toi qui m’as donné l’adresse de ton blog, tu pensais que je ne tomberais jamais sur ce texte ?

- Je ne sais pas. Je crois que je voulais que tu le lises, oui, et que tu sois émue, et que pour une fois tu entendes mon point de vue sur la question. Que tu sentes mon affection indéfectible pour toi, et en même temps ma distance critique, parce que c’est de cette manière-là que je t’aime.

- Si tu veux régler tes comptes, tu peux écrire ce que tu veux sans publier, personne ne viendra t’emmerder.  C’est ce qu’on appelle l’écriture thérapeutique, je crois, non ? Mais ce que tu veux, c’est des réactions, tu veux qu’on te dise qu’on ne t’en veut pas, que ce que tu fais est beau et bien, et moi, tu voudrais que je sois ému aux larmes en reconnaissant ma nullité et tout l’amour que tu me portes quand même… Ben c’est assez minable.

- Et là, je me sens justifiée en te mettant en scène dans un dialogue, où j’ai réponse à tout.

- C’est ça. Si tu étais un peu honnête, tu retirerais ce texte une fois pour toutes, et tu écrirais dans un journal que tu ne publierais pas les autres idées qui te viennent où tu étales la vie des gens réels. Mais tu es tellement orgueilleuse que tu vas imaginer une autre solution, hein ?

- Oui. Je vais écrire la même scène du point de vue du père. Ça te va ?

- Non, ça ne me va pas du tout, je t’ai déjà dit ce que je voulais que tu fasses.

- Non. Je ne sais pas pourquoi, mais non. Je veux tout donner à lire, tout livrer, le meilleur et le pire, jusqu’à ce que je trouve des solutions littéraires aux problèmes que ça pose.

- Et c’est moi que tu accuses d’égoïsme dans tes histoires à la con ?

- Ben tu vois, là, c’est moi. Je n’y arrive pas. Je veux trouver ces putains de solutions et apprendre à écrire pour être lue. C’est plus fort que moi. C’est peut-être de l’orgueil, ou de la vanité, oui. Mais si je n’écris que pour moi sans regard extérieur, même le pire, le plus impitoyable, sans me confronter à la réalité, je sais que je vais arrêter d’écrire.

- Eh bien vas-y, si t’es têtue comme une mule. Mais essaie au moins de mettre un peu de distance, et pas que par la caricature, transforme, enfin travaille, quoi, au lieu de tout donner en vrac pour qu’on se démerde avec.

- Je vais essayer. »

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  • En lisant, en écrivant, en moins bien: ce blog est un journal, qui mêle réflexions personnelles à partir de livres et essais de fiction, mêlant sans prévenir le vrai et le faux, dont j'essaie ici de comprendre comment ils créent de la littérature.
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