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Travaux en cours, risques de chutes
4 mai 2012

Jaguars, axolotls et serpents à plumes

L’oeil de l’axolotl

4 mai 2012

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José Gamarra

Les masques de jade mayas à la Pinacothèque de Paris

Quetzcalcoatl, le serpent à plumes, de Carmen Bernand, éditions Larousse 2010

« L’écriture du Dieu » de Borges (L’Aleph) et « Axolotl » de Cortázar (Fin d’un jeu)

Il serait fou d’essayer de résumer la cosmologie maya, de faire un compte-rendu détaillé de l’exposition de la Pinacothèque, un reader-digest de divers ouvrages d’anthropologie consacrées aux civilisations précolombiennes et de recenser tous les motifs qui ressurgissent dans les livres de Borges et Cortázar (pour ne citer qu’eux, ce qui est déjà fort léger). Mais la visite de l’exposition et les lectures qui l’ont suivie m’ont permis de distinguer dans certaines de leurs nouvelles « fantastiques » la résurgence de mythes précolombiens, qu’il me semble intéressant d’explorer de plus près.

Quelques motifs en effet de la pensée précolombienne (j’englobe sous ce nom vague un ensemble de peuples de l’ancien Mexique, issues des Nahua qu’évoque Carmen Bernand, tant les influences réciproques ont été fortes) donnent à ces auteurs argentins matière à des nouvelles énigmatiques, inquiétantes jouant sur la confrontation des univers possibles et le glissement, le passage d’un monde à l’autre, ce qui n’est pas sans rappeler les rites mortuaires mayas, qui permettent d’accompagner le mort dans un autre monde, en même temps qu’ils illustrent la théorie postmoderne des mondes possibles, développée entre autres par Françoise Lavocat.

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Codex Mendoza

La première, telle qu’on la retrouve dans « L’écriture du Dieu » de Borges, est la tache de jaguar. Cet animal, dans l’imaginaire précolombien, en raison de sa vision nocturne, est de sa force, était vénéré comme permettant le passage du monde à l’ « inframonde », celui qu’éclaire le « soleil nocturne ». Mais il est aussi le double animal de l’homme, son nahualli, né le jour du jaguar sur le calendrier maya : à travers des rites dangereux, sous l’effet de puissants psychotropes, l’homme se dédouble et traverse en jaguar l’inframonde nocturne.  Or le motif géométrique des ocelles du jaguar, que l’on retrouve sur les broderies par exemple (Jacques Soustelle, dans Les Quatre soleils,  a reproduit des broderies modernes chez les Otomi du Mexique qui reprennent ces anciens motifs), a aussi pu représenter les yeux du chaman, celui qui est capable de se déplacer sur différents plans de l’univers, de traverser les frontières ente le visible et l’invisible. Dans la nouvelle de Borges, le « dernier prêtre du Dieu », Tzinacán, fait prisonnier par les Espagnols, est maintenu dans un cachot en forme de demi-sphère d’interminables années. Il se souvient alors que le dieu

« écrivit le premier jour de la création une sentence magique capable de conjurer tous ces maux. Il l’écrivit de telle sorte qu’elle parvienne aux générations les plus éloignées et que le hasard ne puisse l’altérer. Personne ne sait où il l’écrivit ni avec quelles lettres, mais nous ne doutons pas qu’elle subsiste, quelque part, secrète, et qu’un élu ne doive un jour la lire. »

Le prisonnier finit par comprendre qu’il lui faut déchiffrer cette énigme dans les taches du jaguar qui occupe la cellule voisine, et vous toute sa patience à comprendre

« les formes noires qui marquaient le pelage jaune. Quelques-uns figuraient des points, d’autres formaient des raies transversales sur la face intérieure des pattes ; d’autres, annulaires, se répétaient. Peut-être était-ce un même son ou un même mot. Beaucoup avaient des bords rouges. »

Dieu jaguar inframonde

Dieu jaguar de l'inframonde, Tonina, Chiapas
Il finit par comprendre les quatorze mots qui constituent la formule, entrevoit dans un rêve infini, labyrinthique, à l’image de ces « labyrinthes de tigres » dans lequel il s’est absorbé, un symbole, celui de la roue, qui reproduit la même circularité que les ocelles, la cellule et le puits de lumière qui s’ouvre à lui, mais aussi l’éternelle répétition de l’histoire par cycles (dont les calendriers mayas sont une belle illustration) : cette roue lumineuse lui apporte une soudaine puissance celle du dieu Jaguar, et une absolue lucidité, qui le poussent à renoncer à prononcer la formule libératrice tant la vanité de la vie humaine et des empire lui apparaît évidente après cette révélation. Le déchiffrement du sens prend donc la forme de cercles concentriques, à l’image de ces ocelles qui fascinent le prêtre au point de l’endormir et de le plonger dans un « inframonde » qui est celui du rêve :

« Quelqu’un me dit : Tu ne n’es pas réveillé à la veille, mais à un songe antérieur. Ce rêve est à l’intérieur d’un autre, et ainsi de suite à l’infini, qui est le nombre des grains de sable. Le chemin que tu devras rebrousser est interminable tu mourras avant de t’être réveillé réellement. »

Cette plongée dans un rêve sans fin, émaillée par une prophétie venue d’on ne sait où, contribue au caractère mystique du texte. Le prisonnier enfermé dans sa geôle, dans un état de conscience incertain, pourrait être dans le Mictlan, lieu sans lumière et première étage des mondes souterrains de la Mort : le défunt est enseveli avec des tissus et des papiers, qui doivent lui servir de protection dans l’au-delà, et du jade, pierre qui permet le passage d’un monde à un autre. S’il n’est pas question de jade dans la nouvelle de Borges, le thème de l’écriture et la puissance qui se dégage de son déchiffrement peut faire écho à cette fonction protectrice du papier : la parole de Dieu, donnant sens à l’univers, est enterrée avec le mort dans ce « Mictlan » peuplé de jaguars.

 Mais la mythologie maya est ici prétexte à une réflexion sur le sens, l’écriture et le pouvoir, qui s’implante dans un contexte littéraire et théorique bien éloigné des masques de jade mayas. En effet, on trouve cette même mise en abyme de la lecture comme déchiffrement ultime et tragique du sens de l’univers, dans de nombreuses œuvres de la même époque, fascinées par le glissement dans un autre univers possible que permet la littérature : dans « La Bibliothèque de Babel », utopie d’un univers qui serait une bibliothèque infinie constituées de salles hexagonales d’où tombe la lumière par de vastes puits, on trouve ce même rêve d’autres mondes possibles qu’ouvre chacun des livres, et dans lequel le narrateur cherche désespérément un sens. Les dernières pages de Cent ans de solitude,  de Garcia Márquez, illustrent aussi la confrontation des dernières pages du roman, qui se situe dans un Macondo en pleine apocalypse, et des dernières pages des manuscrits de Melquiades, qu’Aureliano Babilonia parvient enfin à déchiffrer en dépit des multiples codes qui en ferment l’accès depuis plus d’un siècle, pour y lire sa propre mort. Le lecteur, intégré à ce dispositif par la spécularité mise en scène par cette double lecture, se trouve donc aussi confronté à une opération de déchiffrement du sens à travers sa lecture : or ce que disent les dernières pages de Cent ans de solitude  comme « L’écriture du Dieu », c’est la vanité de l’existence humaine, emportée par le vent, et l’impossibilité de changer son destin malgré le sens qu’on peut venir à comprendre à l’issue d’un travail intellectuel intense… qui n’a d’autre but que lui-même. C’est aussi ce que dit le motif géométrique du cercle concentrique dans la nouvelle de Borges, parfaite illustration d’une pensée de l’éternelle répétition cyclique mais aussi du labyrinthe qui n’épouse pas les lignes droite des architectes grecs mais les méandres du retour en arrière.

 

La circularité est aussi liée à un autre motif structurel : celui de la spécularité, qu’on retrouve à travers le thème obsédant du double. L’exposition sur les asques mayas et les rituels funèbre met en avant le mythe des héros jumeaux, qui illustre toute une philosophie du double : comme chaque homme a un double animal dans l’inframonde, comme les cités sont un double terrestre des cités mythiques d’Azclan ou Tula, le dédoublement et la transformation s’illustrent dans cette histoire essentielle. Pour pouvoir renaître, raconte le Popol Vuh quiché, les divinités, susceptibles de mourir, doivent pour renaître, déjouer la mort dans les mondes souterrain, à l’instar du dieu du maïs Hun Hunapu :

« Il est dit que Hun Hunahpú et Vucub Hunahpú, fils des créateurs Ixpiyacoc et Ixmucané (…), furent emprisonnés par Hun-Camé et Vucub-Camé, seigneurs de la mort, et forcés à disputer une partie de pelote[1]dans le monde d’en bas ou Xibalbá. Durant leur descente dans les profondeurs souterraines, les deux frères durent franchir quatre fleuves où ils furent attaqués mais ils survécurent. A la croisée des quatre chemins signalés par des couleurs différents – rouge, noir, blanc et jaune- , ils suivirent le chemin noir indiqué comme étant celui du Seigneur. C’est ainsi que la mort devint l’apanage des seigneurs du monde d’en bas. Le chemin jusqu’à Xibalbá s’avéra semé d’embûches. La nuit venue, les seigneurs de la mort leur tendirent un piège et le jour suivant ils furent sacrifiés. Avant d’enterrer les deux frères, ils coupèrent la tête de Hun Hunahpú et la placèrent au sommet d’un calebassier devenu stérile et qui commença alors à reverdir et à donner des fruits. Epouvantés, Hun-Camé et Vucub- Camé interdirent à leurs sujets de s’en approcher. Mais Ixquic, la fille de l’un des seigneurs du Xibalbá, désireuse d’en goûter les fruits, alla jusqu’à l’arbre où le squelette de Hun Hunahpú, caché parmi les branches, lui demanda de lui tendre la main, ce qu’elle fit. Il cracha alors dans sa paume en disant que sa salive contenait sa descendance. Ainsi furent conçus les héros jumeaux Hunahpú et Ixbalanqué. »

héros jumeaux

les Héros jumeaux, Guatemala

Ce mythe fonctionne sur une double gémellité : les jumeaux qui partent dans le monde des morts sont poursuivis par d’autres frères jumeaux aux noms presque semblables, et l’un des deux engendre deux autres jumeaux en croisant sa salive avec la main de la jeune fille du monde des morts : mort et renaissance apparaissent donc comme non seulement jumelles, mais issues d’une même origine. Carmen Bertrand souligne l’importance de cette dualité à travers le récit du mythe de Quetztalcoatl, au cœur de son livre, dieu ambigu, hybride, représenté sous les traits d’un lépreux mais capable de toutes les plus somptueuses réincarnations. Le miroir en particulier est un objet essentielle dans le mythe. Il porte un miroir d’obsidienne derrière la tête ( dans les rites funèbres, de nombreux miroirs sont enterrés avec les défunts, en guise de pectoraux ou retenus au bas du dos)) : dans le miroir se projettent les désirs de celui qui en est le détenteur. La brillance de la surface, comparable à l’éclat de l’eau[2] ou du feu, en fait un parfait objet de passage d’un univers à l’autre. Et depuis les Olmèques, toutes les pierres qui réfractent la lumière sont comparées à des yeux. Porter un miroir est donc aussi un moyen d’élargir sa vision, de tenir à distance l’ennemi, car le regard direct est source de danger. L’auteur de Quetzalcoatl, le Serpent à Plumes, précise que « les Mexica, comme les Mayas et d’autres peuples, utilisent pour nommer l’œil un mot dérivé de « face » ou de « visage ».

« Le miroir accroît la vue, mais Topiltzin ne voit que lui-même. C’est à ce moment-là qu’il est pleinement humain, dépouillé de sa force, comme si son nahualli l’avait avandonné. En lui donnant son corps, Tezcatlipoca le ramène à sa matérialité. Pour qu’il puisse redevenir, ne serait-ce que de façon éphémère, l’incarnation d’un dieu, il lui faudra remettre les parures sacrées et resplendir sur la surface polie, avec la fulgurance du feu d’artifice. »

Le miroir permet donc à Topiltzin (autre nom de Quetzalcoatl) de retrouver sa divinité, à travers l’éclat qu’il dégage ; mais c’est surtout à travers le regard sur lui-même que permet le miroir d’obsidienne, pierre symbolisant comme le jade, par sa transparence, le passage d’un monde à un autre, que s’effectue cette transformation. Dépouillé de ses ornements et de son regard sur soi, il n’est qu’un homme, abandonné par son double surnaturel. Le miroir joue donc son rôle de passage par la prise de conscience de soi que le regard engage.

 

Une fois encore, les correspondances sont nombreuses entre ces thèmes de la mythologie maya et leurs réécritures contemporaines dans les récits de Borges et Cortázar. Mais le thème du double, ou doppelgänger[3], comme l’appelle lui-même Cortázar, est une tarte à la crème de la littérature fantastique. Ce qui différencie certaines de leurs nouvelles de celles de leurs prédécesseurs, est peut-être justement l’ancrage dans une mythologie méso-américaine, une réécriture des mythes antiques qui disent un effarement devant la perte du « je » dans le monde moderne.

L’exemple le plus fascinant est peut-être celui d’ « Axolotl », dans  Fin d’un jeu, publié en 1959. Dans ce récit, le narrateur visite le Jardin des Plantes, où il tombe « par hasard » sur des axolotls, qui lui inspirent une telle fascination qu’il leur rend visite plusieurs fois par jour, tous les jours, s’abimant dans leur regard à travers la paroi de l’aquarium, jusqu’au moment où il se confond avec les êtres étranges qu’il regarde, et finit par devenir l’axolotl qu’il regarde. L’inversion se produit peu à peu, à travers un jeu de glissements des pronoms personnels et du rapport entre sujet et objet :

« Maintenant je sais qu’il n’y a rien eu d’étrange dans tout cela, que cela devait arriver. Ils me reconnaissaient un peu plus chaque matin quand je me penchais vers l’aquarium. Ils souffraient. Chaque fibre de mon corps enregistrait cette souffrance bâillonnée, cette torture rigide au fond de l’eau. Ils épiaient quelque chose, un lointain royaume aboli, un temps de liberté où le monde avait appartenu aux axolotls. Une expression aussi terrible qui arrivait à vaincre l’impassibilité forcée de ces visages de pierre contenait sûrement un message de douleur, la preuve de cette condamnation éternelle, de cet enfer liquide qu’ils enduraient. En vain essayai-je de me persuader que c’était ma propre sensibilité qui projetait sur les axolotls une conscience qu’ils n’avaient pas. Eux et moi savions. C’est pour cela que ce qui m’arriva n’est pas étrange. Je collai mon visage à la vitre de l’aquarium, mes yeux essayèrent une fois de plus de percer le mystère de ces yeux d’or sans iris et sans pupille. Je voyais de très près la tête d’un axolotl immobile contre la vitre. Sans transition, sans surprise, je vis mon visage contre la vitre, à la place de l’axolotl, je vis mon visage contre la vitre, je le vis hors de l’aquarium, je le vis de l’autre côté de la vitre. Puis mon visage s’éloigna et je compris. Une seule chose était étrange : continuer à penser comme avant, savoir. Quand j’en pris conscience, je ressentis l’horreur de celui qui s’éveille enterré vivant. Au-dehors, mon visage s’approchait à nouveau de la vitre, je voyais ma bouche aux lèvres serrés par l’effort que je faisais pour comprendre les axolotls. J’étais un axolotl et je venais de savoir en un éclair qu’aucune communication n’était possible. Il était hors de l’aquarium, sa pensée était une pensée hors de l’aquarium. Tout en le connaissant, tout en étant lui-même, j’étais un axolotl et j’étais dans mon monde. L’horreur venait de ce que – je le sus instantanément- je me croyais prisonnier dans le corps d’un axolotl, transféré en lui avec ma pensée d’homme, enterré vivant dans un axolotl, condamné à me mouvoir en toute lucidité parmi des créatures insensibles. Mais cette impression ne dura pas, une patte vint effleurer mon visage et en me tournant un peu je vis un axolotl à côté de moi qui me regardait et je compris que lui aussi savait, sans communication possible mais si clairement. Ou bien j’étais encore en l’homme, ou bien nous pensions comme des êtres humains, incapables de nous exprimer, limités à l’éclat doré de nos yeux qui regardaient ce visage d’homme collé à la vitre. » (traduction Laure Guille-Bataillon)

axolotl-3

A la suite de ce passage, le narrateur emploie la troisième personne : « Il revient encore plusieurs fois ». Le glissement du « je » au « il », de la personne sujet à la personne objet, s’effectue à travers la plongée dans le regard. La répétition de la phrase « Je vis mon visage contre la vitre » marque le passage d’un regard vers l’autre à un regard réfléchissant à travers la vitre : c’est la réflexion du regard de l’homme, tourné vers l’axolotl, dans la vitre, qui lui révèle en somme sa nature profonde : il devient l’objet qu’il regarde, tandis que l’animal devient l’homme. Il n’est pas innocent que l’animal décrit soit précisément un axolotl, animal mexicain (son nom en nahuatl signifie « chien »-« eau » mais évoque aussi le dieu Xolotl, qui aurait pris la forme de cet animal pour échapper à la mort), connu pour ses capacités d’auto-régénérescence, et la forme juvénile qu’il conserve à l’âge adulte avec ses branchies : c’est un être particulièrement étrange et symbolique d’une civilisation, mais aussi une figure de passage entre l’eau et la terre, comme le montre son habitat et son système respiratoire. Le narrateur rencontre ici son nahualli, et le passage est irréversible, ce qui suscite l’angoisse du lecteur, car la nouvelle, racontée par un axolotl, bouleverse les catégories occidentales de l’humanité et de l’animalité, pour mettre en scène un instant de compréhension intime et de communication entre les deux mondes, d’inversion des rapports d’objet de sujet, particulièrement déstabilisante en raison des dernières lignes, dans lesquelles on peut lire une mise en abyme de la nouvelle, contribuant à la sensation de vertige :

« Et dans cette solitude finale vers laquelle il ne revient déjà plus, cela me console de penser qu’il va peut-être écrire quelque chose sur nous ; il croira qu’il invente un conte et il écrira tout cela sur les axolotls. »

Si le narrateur de « L’autre » de Borges, dans Le Livre de Sable, croise son double (lui-même, plus jeune, refusant de croire qu’il deviendra ce qu’est l’autre), reprenant le thème fantastique du double, la nouvelle de Cortázar est plus troublante encore, car elle remet en cause l’unité du moi chère à la pensée rationaliste occidentale en réactivant les mythes précolombiens. Dédoublements, passages, jeux de miroir et de symétrie habitent les récits de l’auteur argentin et contribuent à brouiller la réalité, dans une perspective qui n’est pas folklorique, mais très moderne : les mythes mayas permettent de mettre en scène des rapports différents à la réalité. Il n’est plus question dans la littérature contemporaine d’affirmer l’hétérogénéité de « la » réalité, partagée par les autres, et la fiction, pure émanation de la subjectivité d’un auteur, ou copie plus ou moins fidèle du réel. Le regard sur l’œuvre d’art, transformé par le passage à l’abstraction qu’a permis l’invention de la photographie,  a permis de considérer chaque œuvre comme un univers possible, tissant avec « la réalité » que le lecteur perçoit comme telle toutes sortes de rapports. La figure de la mise en abyme, permettant de montrer les jeux d’inversion entre ces « réalités subjectives et envisageables », connaît donc dans ces nouvelles une certaine vogue. Elle permet à la fois de réfléchir au sens de l’écriture, du langage, et de la fiction, mais aussi de marquer la circularité d’une pensée détachées des hiérarchies et colonnes en lignes droites de la pensée classique.

ollin

Ollin, triple cercle qui représente le soleil.

[1] On retrouve dans ce jeu, ancêtre du football, la circulaité de la balle et les rapports qu’elle permet d’entretenir entre les mondes des vivants et des morts ; en outre les perdants étaient destinés à des sacrifices, leur sang devant alimenter les dieux, leur redonner la force vitale qui leur permet de vivre.

[2] On peut constater ce rapport entre miroir et eau, et l’usage du miroir pour faire venir la pluie, dans l’exposition « La Pluie » organisée au musée du Quai Branly.

[3] « Pero siempre en posiciones simétricas- dijo Oliveira-. Como dos mellizos que juegan en un sube y baja, o simplemente como uno delante del espejo. No te llama la atención, doppelgänger ? » Dans cet extrait de Rayuela  de Cortázar, le héros s’adresse à son « double » Traveller, mettant lui-même en évidence leur gémellité avec une certaine ironie qui est caractéristique de la distance et de la réflexivité dans l'oeuvre.

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